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Princesses d’ivoire et d’ivresse de Jean Lorrain


Couverture du livre "princesses d'ivoire et d'ivresse" de Jean Lorrain

Princesses d’ivoire et d’ivresse est un recueil de contes, écrit par Jean Lorrain, le scandaleux écrivain de la Belle Epoque, et publié en 1902. L’ouvrage se divise en cinq parties évoquant chacune une ambiance particulière (l’ivoire, la nacre, l’ambre…). Dans sa préface, Jean Lorrain explique qu’il s’est inspiré de tous les récits folkloriques, beaux et inquiétants, qu’il avait entendus dans sa jeunesse afin de créer ses propres contes « De tous les contes entendus, lus et feuilletés dans mon enfance sont nées ces princesses d’ivoire et d’ivresse : elles sont faites d’extase, de songe et de souvenirs. Il en est d’ensoleillées, plus précises et plus vivantes, princesses d’ambre et d’Italie ; il est même des princes dans le nombre, mais si délicats, si chimériques, si androgynes dans leur adolescence de jeunes dieux qu’ils en sont presque des princesses […] ».

L’avis du Libriosaure

Beautés et merveilles de tableaux enchantés

Lorsque l’on ouvre Princesses d’ivoire et d’ivresse, on se plonge dans une multitude de tableaux merveilleux et raffinés, à l’image des œuvres préraphaélites dans lesquelles se mêlent, à la beauté des femmes graciles, des indices de magie et de féerie. Ainsi, le recueil narre des histoires en dépeignant un univers fabuleux et mythique grâce à de nombreuses descriptions, d’une grande beauté mais surtout d’une grande précision. La plume de Jean Lorrain révèle un style orné, précieux, duquel se dégagent les atouts et les faiblesses du Parnasse ; une plume polie et sublime, certes, qui peut cependant contraindre le lecteur à un sentiment de lassitude.

« Sur ma table, de la gueule ouverte d’un lourd poisson de grès des tiges et des calices s’élancent, des iris anglais comme touchés d’une lueur, des iris blancs d’un blanc d’azalée, transparents comme de la nacre, des iris blancs plus beaux que des orchidées, lumineux, violents et fantasques, et puis, pêle-mêle, dans un jaillissement de jets d’eau, des longs cornets d’arum et d’énormes effeuillements de pivoines blanches, des fleurs qui semblent de la chair et de la soie, avec, çà et là, les graminées des reines des prés et la tache jaune d’anthémis pareilles à des étoiles et, dans le clair-obscur de la haute pièce aux persiennes closes, les fleurs, que semblent vomir la gueule du monstre, prennent dans leur immobilité une vie surnaturelle. »

Il conviendrait mieux, à moins que l’on soit extatique devant l’écriture méticuleuse de l’auteur, de découvrir le recueil petit à petit, en lisant quelques contes de temps en temps comme on le ferait avec un recueil de poèmes, sans avoir l’ambition de tout dévorer en une seule nuit.

exemple de chapitre dans "princesses d'ivoire et d'ivresse" de jean lorrain

Princesses sensuelles et vénéneuses

Princesses d’ivoire et d’ivresse brosse de multiples portraits de femmes, de la mendiante au regard pur aux blondes princesses, en développant élégamment l’aspect sensuel de chacune. Les princesses de ces contes sont à la fois beautés, vierges, madones et sorcières ; elles incarnent une féminité généralement aussi attirante qu’inquiétante, se représentent comme des créatures qui condamnent ou sont damnées.

« C’est sous un ciel pluvieux qu’éclaire une lune verte, un vol éperdu de sorcières. Jeunes et vieilles, maigres et grasses, laides et jolies, des nudités se cabrent, descendent en tourbillons, échevelées, hurlantes et vont s’abattre là-bas sur la forêt »

Finalement, les princesses de Jean Lorrain, décrites dans toute leur beauté et leur volupté, émanent un érotisme doux et vénéneux, qui ne convient pas à l’imaginaire des enfants mais à celui, romantique et terrifié, des adultes.

« Un sourire cruel entrouvrait alors sa bouche, et l’on eût dit qu’elle accomplissait quelque rite obscur correspondant à travers les espaces à quelque œuvre lointaine, et c’était en effet (les peuples l’ont su plus tard) une cérémonie d’ombre et de sang. »

pages au hasard dans "princesses d'ivoire et d'ivresse" de jean lorrain

Contes de fées empoisonnés

Ces contes de fées, qui semblent d’abord d’une beauté innocente, nous surprennent par leur cruauté et leur vice. Le lecteur remarquera rapidement que la majeure partie des histoires contées par Jean Lorrain fonctionnent comme des nouvelles à chute : le texte n’est pas seulement beau, il est aussi habile et intelligent. Si chacun de nous sait à quel point les contes pour enfants révèlent une morbidité audacieuse lorsqu’on lit entre les lignes, il ne faudrait pas se méprendre et croire que l’auteur nous propose ici la même chose.

« Les bras vernissés de sang jusqu’au-dessus des coudes, l’air d’un boucher, l’homme grimpait maintenant le long des brodequins écaillés d’or de l’empereur de bronze et, d’autres mains sanglantes lui ayant tendu d’en bas une coupe énorme où surnageait une étrange fleur, l’homme à profil de bête érigeait cette coupe toute droite dans le bleu du ciel et, avec un rire, l’offrait à Justinien. »

Jean Lorrain exploite au contraire, de manière explicite, des thèmes violents, sordides et cruels, qu’il met en valeur par la beauté de son style. Certaines histoires sont réellement affreuses, cauchemardesques et destinées à un public adulte qui ne craint pas le poison des fables enchantées.

épaisseur du livre "princesses d'ivoire et d'ivresse" de jean lorrain

A qui le conseiller

Si vous êtes un amateur ou une amatrice de littérature classique et que vous chérissez parmi eux les œuvres parnassiennes, vous devriez trouver votre bonheur dans le splendide style de Jean Lorrain. Si vous aimez tout ce qui est sombre, mystique, morbide mais raffiné, ce recueil saura aiguiser et apaiser votre curiosité. Enfin, si vous avez apprécié Les fleurs du mal, que vous avez su lire avec délectation Lautréamont, vous saurez goûter la plume empoisonnée de Jean Lorrain.

A qui le déconseiller

Si vous détestez le format de nouvelles ou les contes, vous ne devriez sans doute pas vous jeter sur ce recueil, qui ne se lit pas en une seule fois. Si vous n’aimez pas les styles ornés, pompeux, ampoulés de certains auteurs et préférez les plumes vives et franches, il se peut que vous soyez rapidement lassés par ce livre. Enfin, si vous êtes féru-e de contes pour enfants, passez votre chemin car il s’agit ici de contes pour un public adulte… et averti.

Pendant la lecture

Pendant la lecture, vous apprécierez des thés verts fleuris aux notes fruitées, accompagnés de tous les délices sucrés, parts de gâteaux, petits biscuits et autres friandises qui sauront adoucir cette découverte douce et morbide.

Informations sur le livre

Titre et auteur Princesses d’ivoire et d’ivresse, Jean Lorrain
Thèmes abordés Contes, princesses, magie, sorcellerie
Édition Edition du Rocher, collection Motifs
Format et pages 429 pages, petit format, à lire dans les transports
Âge Apprécié à partir de 16 ans
Prix 9,20€
Avertissement Sexe, violence, meurtre
Où l’acheter Chez votre libraire préféré (Voir s’il est disponible)

Suggestions de lecture

Dans un univers tout aussi morbide mais plus réaliste, découvrez donc Paris Macabre de Rodolphe Trouilleux.

Sur le thème des femmes et de la sorcellerie, n’hésitez pas à consulter Les putains du diable d’Armelle Le bras-Choppard.

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